Un rapport récent du McKinsey Global Institute1) indique que l’investissement en intelligence artificielle (IA) progresse rapidement. McKinsey estime que les leaders du numérique tels que Google ont dépensé entre « USD 20 milliards et USD 30 milliards sur l’IA en 2016, dont 90 % pour la R&D et le déploiement et 10 % pour des acquisitions en IA ». Selon le cabinet dʼétudes IDC (International Data Corporation)2) d’ici 2019, 40 % des initiatives de transformation numérique utiliseront des services d’IA et d’ici à 2021, 75 % des applications d’entreprise utiliseront l’IA. Le cabinet table sur des prévisions des dépenses pour l’IA qui vont atteindre les USD 52,2 milliards en 2021.
Perception et réalité
Mais en quoi consiste exactement l’IA ? Comme l’explique Wael William Diab, Président du nouveau sous-comité SC 42, Intelligence artificielle, du comité technique mixte ISO/IEC JTC 1, Technologies de l’information, le domaine de l’IA comprend toute une panoplie de technologies. Les premiers travaux lancés par ce sous-comité nouvellement créé ont porté sur l’élaboration de normes fondamentales concernant notamment les concepts et la terminologie de l’IA (ISO/IEC 22989). Un large éventail de parties prenantes, incluant des analystes de données, des informaticiens et des organismes de réglementation s’intéressent de très près à l’intelligence artificielle, explique Diab, qui note également une forme de décalage entre l’idée que s’en font les gens et la réalité de ce qu’est l’IA aujourd’hui. « L’IA ce n’est pas seulement des robots autonomes ou des ordinateurs capables de battre un grand champion d’échecs. C’est avant tout, à mes yeux, un ensemble de technologies qui confèrent effectivement une forme d’intelligence aux machines. »
Soulignant que l’IA est souvent vue comme un ensemble de systèmes entièrement autonomes – des robots capables d’effectuer des mouvements – il précise qu’en réalité, bien des applications de l’IA concernent des systèmes semi-autonomes. Dans de nombreux systèmes IA, une bonne partie des données est préparée avant l’intégration dans une machine qui, après une forme d’apprentissage automatique, sera capable ensuite, à son tour, d’effectuer une série d’opérations. Ces technologies sont applicables, entre autres, à l’apprentissage automatique, au big data et à l’analytique.
Pluridisciplinarité technologique
Actuel Directeur principal de Huawei Technologies et Président du sous-comité SC 42 de l’ISO/IEC JTC 1, Diab est titulaire de plusieurs diplômes en génie électrique, économie et administration des affaires de Stanford et de Wharton, et son parcours professionnel est étroitement lié aux domaines des technologies et des stratégies d’entreprise. Il a également travaillé pour les grands conglomérats multinationaux Cisco et Broadcom, exercé en qualité de consultant spécialiste des technologies de l’Internet des objets (IoT), et depuis peu, il est le Secrétaire du comité de pilotage de l’Industrial Internet Consortium. Il a également déposé plus de 850 brevets, dont près de 400 ont été publiés, les autres étant encore en cours d’examen. C’est plus de brevets que n’en a déposé Tesla – et aucune de ses applications n’a été rejetée.
La grande spécificité de Diab tient à l’étendue de ses compétences d’expert, qui va de l’incubation des idées au pilotage stratégique de l’industrie. C’est aussi ce qui explique son intérêt pour la normalisation, qu’il voit comme le véhicule parfait pour la bonne santé et le développement de cette industrie dans son ensemble. Il juge indispensable d’établir des normes pour l’IA pour plusieurs raisons. Tout d’abord, à cause du degré de complexité des TI dans la société actuelle. Après tout, un smartphone milieu de gamme a maintenant des capacités supérieures à celles de toutes les missions Apollo combinées. En second lieu, l’informatique pénètre de plus en plus profondément dans tous les secteurs. Après un démarrage lent dans les années 1970 et 80, les systèmes TI ne sont plus simplement utiles dans un souci d’efficacité accrue, ils sont maintenant indispensables dans une perspective opérationnelle et stratégique. Les TI sont, en définitive, omniprésentes dans notre vie. Tous les secteurs en dépendent, de la finance à la fabrication, des soins de santé aux transports et à la robotique, la liste est longue…
Un travail de normalisation complet
C’est là que les Normes internationales entrent en jeu. Le sous-comité SC 42, qui relève du comité technique mixte JTC 1 de l’ISO et de la Commission électrotechnique internationale (IEC), est le seul organe qui s’intéresse à tout l’écosystème de l’IA. Pour Diab, une chose est claire : le travail du SC 42 implique de commencer par reconnaître que pour parvenir à une large adoption, la normalisation dans ce domaine doit prendre en compte une multiplicité d’aspects de la technologie IA. « Nous savons que les utilisateurs sont très inquiets et veulent comprendre comment sont prises les décisions en matière d’IA, d’où l’importance fondamentale d’inclure des aspects comme la transparence des systèmes », fait-il valoir, en ajoutant, « pour que la technologie soit adoptée, il faut un travail de normalisation complet. »
L’écosystème de l’IA a été divisé, au sein du SC 42, en un certain nombre de sous-domaines clés confiés à des groupes d’étude, pour traiter de considérations d’ordre technique, sociétal ou éthique, à savoir :
Normes fondamentales
Avec une telle variété de partie prenantes, le comité s’est d’abord attelé à l’élaboration de « normes fondamentales » concernant des aspects de l’IA qui nécessitent un vocabulaire commun, ainsi que des classifications et des définitions concertées. Au final, ces normes permettront à un professionnel du domaine de parler le même langage qu’une personne engagée dans le secteur de la réglementation, et les deux parleront le même langage qu’un expert technique.
Méthodes et techniques computationnelles
L’évaluation des méthodes computationnelles et caractéristiques des systèmes d’intelligence artificielle sont au cœur des travaux sur l’IA. Le travail implique une étude des différentes technologies (algorithmes d’apprentissage automatique, raisonnement, etc.) utilisées par les systèmes IA, notamment leurs propriétés et caractéristiques, ainsi que l’étude des systèmes IA spécialisés existants en vue de comprendre et déterminer leur identité, leur architecture et leurs caractéristiques computationnelles sous-jacentes. Le groupe d’étude fera rapport sur ce qui se passe dans ce secteur et proposera des domaines dans lesquels une normalisation est nécessaire.
Fiabilité
Le troisième axe de travail, sur la question de la « fiabilité », est l’un des sujets les plus délicats dans ce domaine. C’est une problématique qui est au cœur d’un grand nombre des préoccupations autour de l’IA. Le groupe d’étude examine tous les aspects, de la sécurité et de la confidentialité des données personnelles à la robustesse du système, et aux questions de transparence et de partialité. Il y a déjà des systèmes IA qui peuvent soit prendre des décisions soit donner des orientations sur les décisions à prendre. Il est donc fondamental qu’il existe une forme reconnue et convenue de transparence pour garantir l’absence de biais indésirable. Il est fort probable que ce groupe d’étude établira toute une série de recommandations pour des projets de normalisation. Ce travail fournira un outil nécessaire et abordera de façon proactive les préoccupations dans ce domaine. Comme le souligne Diab, « en étant proactif à reconnaître que ces problèmes existent et que les normes peuvent aider à les atténuer, on procède de façon radicalement différente de ce qui a été fait dans le passé pour les technologies transformatrices, où la réflexion était davantage menée a posteriori.
Cas d’utilisation et applications
Le quatrième axe concerne l’identification des « domaines d’application », c’est-à-dire des contextes où l’IA est utilisée, et la collecte des « cas d’utilisation représentatifs ». La conduite et les transports autonomes en sont une catégorie type. Autre exemple : le recours à l’IA dans l’industrie de fabrication pour accroître l’efficacité. Les rapports du groupe déboucheront sur le lancement d’une série de projets qui pourraient porter sur une foule de sujets, notamment sur un répertoire complet de cas d’utilisation, et sur les meilleures pratiques pour certains domaines d’application.
Préoccupations sociétales
Un autre axe de travail est ce que Diab nomme les « préoccupations sociétales ». Des technologies de grande ampleur comme l’IoT et l’IA ont la capacité d’influencer notre mode de vie pour les générations à venir. Leur adoption a donc des impacts qui vont beaucoup plus loin que la technologie en tant que telle. Il y a notamment des considérations économiques qui entrent en jeu, telles que l’impact de l’IA sur l’emploi (qui, naturellement, n’est pas du ressort du comité). Mais d’autres aspects entrent bel et bien dans son domaine de compétences : les biais algorithmiques, l’espionnage informatique et l’établissement de lignes directrices en matière de sécurité dans les applications industrielles de l’IA sont effectivement toutes des questions centrales que le comité doit examiner. Comment, par exemple, opérer en toute sécurité l’apprentissage, ou, s’il y a lieu, le réapprentissage, d’un algorithme pour qu’il fonctionne correctement ? Comment éviter la capitalisation d’un système IA sur des données « erronées », ou la prise de décisions automatiques fondée sur des facteurs indûment biaisés comme l’âge, le sexe ou l’origine ethnique ? Comment s’assurer qu’un robot travaillant en tandem avec un opérateur humain ne mettra pas ce dernier en danger ?
Le SC 42 s’intéresse à ces aspects des préoccupations sociétales et des considérations éthiques dans ses travaux et collabore avec les autres grands comités sous la houlette des organisations mères, l’ISO et l’IEC, sur des éléments qui ne relèvent pas nécessairement des TI mais en sont impactés.
Big data
Il y a quelques années, le JTC 1 a mis en place un programme de travail sur le « big data » par le biais de son groupe de travail WG 9. Le programme sur le big data compte actuellement deux projets fondamentaux, « Vue d’ensemble et vocabulaire » et « Architecture de référence du big data (BDRA) », pour lesquels l’industrie a manifesté un immense intérêt. À plus d’un titre – science des données, participation des experts, cas d’utilisation et applications, travaux futurs anticipés sur l’analytique et rôle de l’intégration des systèmes – le programme de travail sur le big data a beaucoup de points communs avec le programme de travail initial du SC 42. Du point de vue des pratiques de l’industrie, il est difficile d’imaginer des applications où ces technologies ne vont pas de pair. Pour cette raison et pour bien d’autres, le programme big data a été transféré au SC 42. Le comité se concentrera sur la façon de structurer le travail à sa prochaine réunion. Il est également anticipé que seront développés de nouveaux produits de travail pour le big data.
Une croissance exponentielle
Le domaine de l’IA évolue très rapidement et prend une telle ampleur que l’application des normes élaborées par le SC 42 va continuer de croître de même que le programme de travail du comité. Diab prévoit que beaucoup d’autres normes prendront forme, surtout dans les secteurs très porteurs ayant une grande applicabilité et adoptés à grande échelle par le marché.
C’est aussi grâce à ces normes que Diab est certain que l’adoption de l’IA ne sera pas seulement réussie, il s’agira de l’un de ces points d’inflexion majeurs de la technologie qui vont changer nos modes de vie, nos habitudes de travail et nos pratiques de loisirs.
1 ) McKinsey Global Institute, Artificial Intelligence: The Next Digital Frontier?
2 ) IDC, US Government Cognitive and Artificial Intelligence Forecast 2018-2021