La grande poussée de croissance de la technologie

L’accélération numérique sans précédent provoquée par l’apparition de la COVID-19 coïncide avec l’arrivée à maturité d’une technologie fondamentale qui va redéfinir nos modes de vie et de travail.

Lu en quelques minutes
Barnaby  Lewis
Par Barnaby Lewis
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Harran plisse les yeux tant il est ébloui. C’est un enfant curieux, enthousiaste pour tout ce qui est nouveau, mais il n’en croit pas ses yeux. Il y a là un homme qui enfonce des formes – des triangles ou des coins – dans une tablette d’argile, et qui dit qu’il pourra ainsi communiquer avec des gens, même en leur absence. Le principe de l’écriture échappe certes encore à l’enfant, mais il comprend bien que cette invention va tout changer.

A stone tablet inscribed with Cuneiform script.

Je me mets à sa place. Aujourd’hui, plus de cinq mille ans plus tard, même les linguistes les plus chevronnés ne sont toujours pas parvenus à percer totalement à jour le système d’écriture mis au point dans le pays de Sumer, la patrie de Harran. Je me représente l’enfant dans les sables de cette région lointaine et je me demande ce qu’il a en commun avec un enfant d’aujourd’hui. Plus qu’on ne pourrait le penser. Avance rapide des sables de l’antiquité aux plaquettes de silicium et nous voilà dans un monde où, là aussi, tout est sur le point de changer.

Une puissance de calcul à la vitesse de la pensée

Comme chacun sait, et mon expérience personnelle le corrobore, chaque fois que l’on change d’ordinateur pour acquérir un nouveau modèle, ce dernier est plus rapide et proportionnellement moins cher. Cette évolution, que Gordon Moore, un informaticien comptant parmi les cofondateurs de la société Intel, avait prédite, explique la croissance exponentielle de la puissance de calcul que nous avons constatée depuis les premiers PC. Or, si effectivement, à chaque mise à niveau, les performances des ordinateurs ont toujours augmenté, la hausse des coûts (en raison de la pénurie mondiale de sable de silice de haute qualité et des procédures d’essai de plus en plus sophistiquées) a pesé lourd pour les fabricants. L’aspect financier viendrait-il contredire les lois de Moore ? Aussi impressionnants soient-ils, les ordinateurs d’aujourd’hui ne sont pas tout à fait parvenus là où nous l’espérions. Il était prédit qu’à ce stade, nous disposerions de « superordinateurs exaflopiques » (exascale computing en anglais), c’est-à-dire d’ordinateurs capables d’effectuer 1x1018 opérations par seconde (soit près d’un million de fois plus rapide que les PC actuels).

Les meilleurs superordinateurs du monde sont en passe d’atteindre cette vitesse, notamment le tout dernier supercalculateur chinois, Tianhe-3. Si des facteurs comme la lutte contre la pandémie mondiale en 2020 ont pu retarder l’émergence d’un véritable superordinateur exaflopique, ils ont également pu accélérer la participation à des projets communautaires comme folding@home, qui met en réseau des ordinateurs personnels pour exploiter leurs puissances de traitement combinées. Nos appareils individuels n’atteindront peut-être jamais des vitesses de calcul exaflopiques, mais la puissance de traitement s’articule maintenant avec de nouvelles méthodes de calcul qui mettent l’accent sur l’efficacité des ressources. Le volume d’informations que nous pouvons traiter, et la vitesse à laquelle nous pouvons le faire, continuent ainsi d’augmenter.

L’assistance des normes

En mettant à la disposition des scientifiques un outil pour les aider à résoudre des mystères comme la COVID-19 et le changement climatique, le mode de traitement exaflopique représentera une avancée dont la portée est beaucoup plus importante que la simple confirmation des prédictions de Moore. De l’avis des scientifiques, avec des vitesses de traitement de l’information exaflopiques, l’ordinateur a à peu près la même puissance de traitement qu’un cerveau humain, ce qui ouvre de nouveaux horizons dans l’apprentissage automatique.

La transformation numérique de la société n’est qu’à son début.

Il sera bientôt possible de simuler des comportements et d’aborder certains problèmes selon un mode de raisonnement que nous croyions autrefois propre à l’esprit humain. Dans cette nouvelle ère de l’apprentissage automatique, l’ordinateur n’a plus rien à voir avec une calculatrice géante. Les questions qui lui sont posées ne sont plus « combien ? » mais « pourquoi, et quand ? ». Aux algorithmes d’apprentissage automatique, on ne soumet plus des chiffres et des règles de calcul, mais des réponses (données), en espérant que la machine pourra déceler les modèles, ou les règles, qui les ont générées.

On voit rapidement s’estomper les distinctions entre émotion et pensée, entre idées et information, et entre réel et virtuel. À vrai dire, il est possible que de nombreuses technologies à peine sorties de l’enfance, de l’intelligence artificielle (IA) à la cryptographie inviolable, subissent bientôt une poussée de croissance fulgurante, s’enferment dans leur chambre avec la musique à fond et s’entourent de fréquentations bizarres.

Pas de panique. Tout comme Harran a traversé les affres de l’adolescence et appris à écrire en cunéiforme grâce aux indications simples de personnes compétentes, les normes ISO sont là pour nous aider à passer du potentiel au concret. Nous pouvons gérer cette explosion technologique, pour faire de cette déflagration un magnifique feu d’artifice.

Ce qui change la donne

Les enjeux ont rarement été plus élevés. Nous vivons une période d’expansion sans précédent, où les colonialistes numériques luttent pour exercer leur suprématie. L’avènement de l’Internet a préparé le terrain des médias sociaux et du capitalisme de données, et au cours de la dernière décennie, de grandes entreprises sont parvenues à définir et à dominer de nouveaux espaces avec une rapidité inédite. Le défi pour la prochaine génération de licornes est de gagner au galop les espaces ouverts par les nouvelles technologies et de les remplir de services, d’applications et de produits si importants que, outre l’élargissement du choix offert au consommateur, tous les anciens codes s’en trouvent complétement renversés.

Certaines entreprises, comme Facebook et Google, ont déjà changé la donne en redéfinissant l’expérience humaine quotidienne. D’autres, comme Uber et Amazon, l’ont bouleversée de manière irréversible. Ainsi, même si nous n’allons pas ici faire de pronostics sur les chevaux à suivre, nous avons repéré quelques leaders qui vont changer notre façon de vivre et de travailler. Il est important de signaler que ce sont les domaines dans lesquels les normes nous aideront à faire évoluer ce monde dominé par la technologie qui est le nôtre de l’adolescence maladroite à une maturité durable et inclusive d’adulte. L’intelligence artificielle faisant gauchement office de première de classe.

Selon les conclusions d’un rapport datant de 2018 publié par le Centre commun de recherche (JRC) de la Commission européenne, « la transformation numérique de la société n’est qu’à son début : l’IA, qui est au cœur de ce changement, offre des possibilités majeures d’améliorer nos vies ». En écho à l’ISO et à sa vision pour un monde meilleur grâce aux normes, il n’est pas surprenant que l’IA, et ses domaines associés à l’apprentissage automatique, soit un sujet d’actualité pour Wael William Diab, Président de l’équipe technique mixte ISO/IEC sur l’intelligence artificielle. C’est une évidence, sans normes, on ne peut rien faire : « La normalisation est essentielle à l’intelligence artificielle et à son adoption généralisée dans le monde entier. »

Intelligence artificielle

Si la culture populaire voit l’avenir avec des assistants robotisés où le raisonnement intellectuel est l’affaire de circuits imprimés neuronaux, il est vrai que l’IA pilote déjà tout un ensemble de technologies de prise de décision, du diagnostic médical à la météorologie et à la voiture autonome. C’est l’une des technologies fondamentales pleines de promesses qui sous-tend de nombreuses applications susceptibles de changer la vie.

Contrôle automatisé de la température d’un client à l’entrée d’un restaurant au moyen d’un système basé sur l’IA dans le but de ralentir la propagation de la COVID-19 à New York (novembre 2020).

Bon nombre d’aspects sont à prendre en considération. Les questions de confiance, d’éthique et de souveraineté numérique font réagir tout autant les futurologues et les philosophes que les experts des technologies. Les Normes internationales contribuent à apporter des réponses à cet égard. Un récent rapport technique analyse les facteurs susceptibles de compromettre la fiabilité des systèmes fournisseurs ou utilisateurs d’IA, et plus de 20 normes actuellement en cours d’élaboration sur tout un éventail de sujets, de l’architecture de référence à la gouvernance des big data, en passant par les concepts et la terminologie y afférents, contribuent à dynamiser ce domaine.

Les normes sont reconnues comme un élément central de l’IA.

Les normes sont reconnues des deux côtés de l’Atlantique, ainsi que dans le monde entier, comme un élément central de l’IA. Dès 2016, l’administration Obama aux États-Unis a publié une série de rapports, identifiant spécifiquement le recours aux normes comme une priorité clé pour tenir le cap dans le développement de l’IA. En parallèle, le rapport du JRC souligne un autre rôle pour les normes, en indiquant qu’il convient de « chercher à concevoir des systèmes d’IA fondés, dès leur conception, sur des normes de transparence, d’intelligibilité, d’obligation de rendre des comptes, et encadrés par des structures d’audit et d’évaluation selon des normes internationales convenues ».

Alors, quelles différences pourra-t-on constater ? De fait, si tout est fait dans les règles, il faudra se donner beaucoup de mal pour voir l’IA derrière les changements à venir. Les normes ont également un rôle à jouer à ce niveau, en tant qu’outil pour les instances de réglementation qui font lourdement pression pour que tout soit bien fait dès le départ. Le rapport de la Commission européenne insiste sur ce point en soulignant que « la première difficulté, lorsqu’il s’agit de se prononcer sur le cadre réglementaire le plus approprié pour l’IA, est d’anticiper l’impact qu’elle peut avoir sur la société. La seconde est de faire face au rythme des avancées de l’IA ».

La prise en compte des facteurs humains est essentielle face à une technologie qui aura un impact durable et fondamental sur la vie de tout un chacun. Il n’est pas facile d’imaginer comment les choses tourneront, mais les villes illustrent bien comment ces éléments interagiront et fonctionneront, en fusionnant cultures, idées, personnes, vie et travail avec la technologie qui changera la façon dont nous procédons depuis des milliers d’années.

Un long parcours semé d’embûches

Revenons aux Sumériens pour boucler la boucle. Harran a été l’un des premiers à fouler une chaussée pavée. L’invention du pavage, du drainage et des infrastructures a fait évoluer la civilisation d’un habitat épars vers l’établissement de villes. Voilà un autre exemple de petites initiatives ayant entraîné des changements de grande ampleur. On peut avancer sans ambages que l’invention du pavage a été l’un des facteurs d’accélération de l’orientation du monde sur la voie de ce que l’on appelle le progrès. Malgré les tours et détours et malgré les barrages, nous sommes toujours aujourd’hui sur cette même voie, nous préparant à un nouveau coup d’accélérateur vertigineux. Même si, durant l’année 2020, certains des chevaux ont quitté la course, les chars de la technologie intelligente filent toujours au galop. Il est peut-être trop tôt pour l’affirmer, mais il semble que la pandémie de COVID-19 ait déclenché une phase de réévaluation et de reconfiguration qui force les villes, dans le monde entier, à réexaminer les modalités du vivre ensemble.

Marina Bay, Singapore by night.

Aujourd’hui, la majeure partie de la population mondiale (près de 55 %) vit dans les villes. Cette proportion augmente régulièrement depuis les années 1980 et la courbe ne semble pas près de s’inverser de sitôt. En fait, selon les Nations Unies, d’ici 2050, sept personnes sur dix seront des citadins. Fondamentalement, c’est parce que la vie citadine a du bon, surtout sur une planète où les ressources se raréfient alors que la consommation flambe. Dans les villes, travail, vie, éducation et loisirs pouvant être regroupés en un seul et même lieu, les déplacements sont réduits, et les ressources, du chauffage à l’éclairage et au wi-fi, peuvent être utilisées collectivement avec plus d’efficacité.

Les urbanistes savent que pour que les villes demeurent fonctionnelles, une approche intégrée est indispensable. Comment aborder et prendre en compte les différents besoins de 10, 20 ou 30 millions de personnes vivant côte à côte ? L’un des concepts clés qui sous-tend l’émergence des premières villes intelligentes repose sur l’analyse de multiples données, notamment concernant les besoins des habitants et le moment où ils en ont besoin, en y associant la puissance de la connectivité. L’idée n’est pas nouvelle, la Norme internationale définissant le modèle conceptuel de la ville intelligente est sortie en 2017, mais aujourd’hui les composantes de ce modèle théorique deviennent rapidement des réalités nécessaires.

Smart Watch.

Mettre l’humain en avant

Les villes intelligentes ne représentent pas une technologie fondamentale à proprement parler. Elles combinent plutôt des technologies récentes et émergentes, notamment la connectivité permanente, l’intelligence artificielle et l’Internet des objets. Au niveau sociétal, en revanche, les villes intelligentes changent radicalement la donne. En combinant des options de transport écologique comme la mobilité électrique avec paiement sans contact, le covoiturage et même la bonne vieille marche à pied, les villes intelligentes correctement configurées seront moins bruyantes, plus propres et plus saines. En se fondant sur les réalités concrètes de la vie des citadins (et non pas sur les projections théoriques des planificateurs) et en permettant l’accès à la demande, les capacités en termes de services publics peuvent être gérées de manière à assurer l’efficacité et l’optimisation des ressources. Dans une ville intelligente, les files d’attente devant le guichet d’une administration pour renouveler un permis ou contester une facture sont des choses révolues. Il s’agit d’offrir aux gens des formules qui leur conviennent, et de les amener à abandonner des comportements qui ne pourront tout simplement pas s’inscrire dans la durée.

Les normes ISO sur les villes intelligentes apportent de la clarté et offrent différentes options. Par exemple, les normes relatives à la terminologie dans ce domaine instaurent un langage commun, même si le terme de ville intelligente renvoie à une multiplicité de réalités. Dans la plupart des villes, il est impossible de tout recréer et pour bon nombre de métropoles chargées d’histoire, les infrastructures conçues pour une autre époque sont un défi de poids. Dans ce souci d’amélioration, les normes ISO peuvent être utiles pour répondre à bien des questions quant aux modes de vie et de travail que nous voulons, questions dont les enjeux se sont encore accentués avec la pandémie de COVID-19.

Feuille de route pour un succès partagé

Si les technologies nouvelles reçoivent toujours un accueil mitigé qui va de l’optimisme délirant à la panique complète, rares sont les prédictions annoncées qui se réalisent. Quant à celles qui peuvent être assurément suivies d’effets, elles sont encore plus rares.

Ce que nous pouvons peut-être espérer de mieux est une discussion ouverte et une confiance partagée dans la valeur de l’humanité. Il faut pour cela de la bonne volonté et une bonne dose d’optimisme, mais si j’ai de l’espoir pour les jeunes Harran d’aujourd’hui, c’est pour des raisons plus concrètes. Ils agiront dans une perspective multilatérale, en suivant des règles établies et des procédures claires fixées au niveau mondial.

Les normes aident à atteindre cet objectif, tout en créant une base pour l’innovation permanente et la participation la plus large possible. Avec le catalogue ISO, qui compte plus de 20 000 normes, loin de devoir recommencer chaque fois à la case départ, les intérêts établis peuvent coexister avec les nouveaux sur un pied d’égalité. Ce système qui a fait ses preuves, fondé sur le consensus et sur des travaux effectués au plan international, offre un espace où les innovateurs peuvent faire fructifier leurs idées. Sachant que les éléments fondamentaux sont appuyés par des Normes internationales, tous les efforts peuvent être consacrés à développer une diversité de produits très compétitifs et une technologie qui fonctionne pour tout le monde.

Il y a beaucoup d’enjeux à faire les bons choix, et pour l’ISO, la conviction de l’importance de notre mission est d’autant plus forte. Les normes continueront à gagner en importance, à mesure que la population, les activités et les dispositifs techniques ne cesseront de se multiplier. Le monde redémarre son système de navigation et nous avons besoin d’une voix rassurante pour nous aider à garder le cap. À l’heure où nous mettons collectivement le pied au plancher, c’est un souci de moins. Alors, détendez-vous et regardez défiler le paysage. La chaussée pavée de Harran s’est muée en autoroute.

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Elizabeth Gasiorowski-Denis
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